lundi 14 avril 2014

En voyage avec une fille et deux coqs.



Cette fois-ci, un malimail pas comme les autres : un récit de voyage. En raison de la longue
crise politique et militaire, je ne suis pas allée à Bandiagara ni à Endé depuis deux ans et demi.
La sécurité est à peu près revenue et, avec ma fille Rosanne qui est étudiante en médecine, je
prends le bus pour aller voir comment ça se passe. Cela devient un voyage incroyable, avec
deux coqs en souvenir.

Nous allons d’abord à Endé. Depuis des années il n’y a plus de touristes, donc une grande perte
de revenus. Je crains ce que nous allons voir. Amadou nous reçoit. Tout de suite nous faisons
un tour dans le quartier et saluons tous les amis et vieilles connaissances et surtout beaucoup
d’enfants. Nous nous promenons chacun avec un enfant à chaque doigt. Les parents crient :
Amagère ! Japo Japo ! Soyez les bienvenues, merci beaucoup !

Ils m’appellent la mère de tous les enfants. C’est agréable d’être de nouveau ici et surtout
cette fois-ci, parce que Rosanne m’accompagne.

À ma grande surprise, on a créé des jardins partout. Beaucoup de cultures d’oignons, mais
aussi des salades, des aubergines et des tomates. Partout on voit de petites parcelles
cultivées.
Il y a peu d’eau, mais en creusant des puits ou en faisant de petites digues après la saison des
pluies, l’eau reste disponible pendant quelques mois. Une clôture est indispensable sinon le
bétail se goinfrerait des jeunes plantes. On se débrouille avec des vieilles moustiquaires ou
avec des sacs. La crise a provoqué beaucoup de pauvreté et de misère, mais les gens sont
devenus inventifs aussi.

Nous passons une journée entière à visiter les aînés et le chef du village, les écoles et le
dispensaire où j'ai été volontaire il y a six ans. Ça fait du bien d'entendre que presque tous
les enfants vont à l’école depuis que - chaque année - Malikanu fournit ici des fournitures
scolaires aux écoliers. Résultat : l'école est pleine à craquer et, à Endé-Wo, on a construit un
petit bâtiment en banco afin d'héberger tous les enfants.

Le soir au clair de la lune, on danse spécialement pour notre arrivée au rythme des tambours.
On nous remercie cordialement ainsi que les nombreux donateurs en France et aux Pays-Bas.
En remerciement supplémentaire, nous recevons deux grands coqs.

Bandiagara.

Nous arrivons pleines de poussière et fatiguées chez Timothée à Bandiagara. Un repas festif
nous attend : une salade, des frites, des tomates, du pain frais et un délicieux poulet grillé.
Timothée a plein de choses à raconter sur ses projets et son travail.
À part nous, il y a aussi une des filles du projet qui loge chez lui. Une enf ant encore, de
quatorze ans à peu près. Elle est chez lui parce qu'elle doit rester près de l’hôpital. Elle vient
d'accoucher par césarienne d'un solide garçon. Elle vient de l'un des villages éloignés et sa
mère est avec elle. Le but est qu'elle retourne à l'école dès qu'elle sera rétablie. Quand la
fille a le soutien de la famille, normalement ça marche.

Presque toutes les filles qui ont participé au projet de Malikanu sont restées à l'école. Samba
a participé au premier groupe en 2009. Elle avait alors quatorze ans et avait eu son deuxième
bébé. De tout son cœur, elle avait promis que cela ne lui arriverait plus. Depuis, elle a obtenu
un diplôme d'infirmière de maternité/matrone et travaille à l’hôpital de Bandiagara. Timothée
est fier d'elle.

Nous constatons que, au bout de cinq ans, beaucoup moins de filles tombent enceintes malgré
elles, cela grâce à l'engagement énorme de Timothée qui veut qu'on puisse toujours parler de
ça. Avec entre autre le soutien matériel de Malikanu, nous appuyons ce projet. Un grand
succès ! D'ailleurs la baisse du tourisme a son côté positif : beaucoup de jeunes
guides/vendeurs de souvenirs en scooter - les pères potentiels - sont partis.

Nous visitons un centre médical dans un village voisin. La sage-femme elle-même est malade et
un infirmier à peine formé est le docteur. Il travaille néanmoins avec beaucoup d'expérience
et d'enthousiasme.
Il nous fait une visite guidée complète. Tout est rangé et assez propre, autant que faire se peut dans un environnement aussi poussiéreux. Les femmes du village peuvent y accoucher, il y a une salle de soins, un programme de vaccinations et des consultations pour les enfants sous-alimentés.
Son devoir est de soigner ce qui est dans ses possibilités et sinon, de transporter aussi vite que possible le patient à l’hôpital de Bandiagara. Maintenant, il doit partir pour visiter encore un malade. Rosanne, formée dans un hôpital français, ouvre de grands yeux !

Dans le village, qui compte près de mille habitants et se trouve dans une vallée ouverte et
ventée sur un sol rocailleux, nous rendons visite à une fille qui n'est plus enceinte mais qui va
quand même participer au projet de Bandiagara. Timothée nous a déjà parlé d'elle. C'est un
homme assez émotif et il a du mal à retenir ses larmes quand il parle de sa vie à elle.
Fatoumata Tapily habite avec sa mère et deux petits enfants dans ce village. Le père est
décédé. Quand Fatoumata était petite, elle a été enfouie sous le toit du hangar et a perdu sa
jambe gauche.
Récemment elle est tombée enceinte et a été sélectionnée pour le projet de
Timothée. Elle était d'ailleurs malheureuse avec cette grossesse. Finalement elle a fait une
fausse-couche, mais en raison de sa situation spéciale, elle va quand même participer au
projet.

Nous sommes reçues près d'une petite maison dans une petite cour. Dans un coin se trouve ce
qui a été un jour un vélo pour handicapé. La mère est une belle femme mais les soucis mettent
de l'ombre sur sa beauté. Fatoumata marche avec une béquille. D'abord elle est très timide,
mais après elle parle de l'école et dit combien elle se sent souvent seule, quand tous les
enfants jouent et qu'elle est assise au bord de la cour. Sa maman doit tout faire toute seule :
cultiver des plantes, aller au marché et les vendre, faire le ménage, ce qui fait beaucoup de
travail ici parce qu'il n'y a pas d'eau courante ni du gaz.

Timothée connaît dans ce village plusieurs familles qui ont participé ou participent encore au
projet. C’est encourageant de voir qu'elles se portent bien.
Finalement, nous quittons Bandiagara et Endé, de nouveau avec des sacs pleins d'affaires que
nous avons reçues ou achetées : différentes statues, des tissus et de la poterie. Et le carton
avec les deux gros coqs. En Afrique, tout le monde voyage avec des animaux : sur le toit d'un
minibus, il y a de la place pour 25 chèvres, des centaines de poules sur les côtés et deux
moutons sur une moto. Donc, nous pouvons facilement emporter nos deux coqs, non ?
Le bus part à cinq heures du matin. En cachette, car en fait ce n'est pas permis, nous amenons
les coqs dans le bus. Le conseil, c'est de ne pas leur donner à boire sinon ils meurent. Les coqs
se trouvent dans l'allée du milieu, près de la climatisation. Tout se passe bien parce que tant
qu'il fait nuit, ils dorment. Pourvu qu'ils ne se mettent pas à chanter, sinon ils se révèlent
d'eux-mêmes.

Le jour se lève, les coqs sont incroyablement tranquilles, ils ne sont quand-même pas ... non,
non, ils bougent quand je secoue la boite. Un voyage de dix heures nous attend et il va faire
très chaud. Nous avons mis notre espoir dans la climatisation. Après un grand nuage de
poussière, il y a un mouvement dans la grille et une bonne quantité d'air chaud en sort. Et puis,
encore plus d'air chaud.

En cachette j'avance en peu le carton, loin de cette désagréable entrée d'air brûlant. Je
commence à m'inquiéter. Que faire s'ils sont à demi morts ? Demander au chauffeur de
s’arrêter pour un abattage d'urgence ? Est-ce que quelqu'un a un couteau sur lui ? Y a-t-il un
vétérinaire dans le bus ? Entre-temps, c'est clair que la clim ne marche pas et ne marchera
jamais. Nous contrôlons de plus en plus souvent par les trous d'air du carton si les coqs sont
encore vivants. Je n'ose pas enlever les rubans de scotch parce que je crains qu'ils
s'échappent. Rosanne a chaud aussi, qu'elle se débrouille, tant que les coqs n’abandonnent pas.
Et il fait de plus en plus chaud, le soleil est au zénith et nos coqs commencent à dégager une
forte odeur.

Rosanne propose d'ouvrir le carton pendant la pause-pipi et puis, au cas où ils seraient morts,
de laisser le carton au bord de la route. Je serais terriblement gênée. Un coq ici n'est pas ce
qu'il est en Europe, juste un bon poulet à rôtir. Ces coqs nous ont été offerts par les aînés du
village de Endé en remerciement pour les activités de Malikanu. Ils ont choisi leurs plus belles
bêtes. Et puis, j'en ai bien besoin sur mon terrain à Bamako comme reproducteurs.
Nous regardons dans le carton : ils ne sont pas morts mais encore bien vivants ! Le voyage se
poursuit, nous les contrôlons toutes les dix minutes, ils ont l'air de s'affaiblir.
Puis je laisse tomber...on ne peut rien faire d’autre.

Quand nous entrons dans Bamako, ils sentent terriblement mauvais et je ne veux plus y
toucher. Mais une fois sortis du bus, ils ont l'air d'être encore en vie. Finalement, à la maison,
le plus en forme secoue ses ailes, se gonfle et - malgré la ficelle autour de ses pattes - essaie
de s'en aller fièrement. L'autre récupère doucement du voyage, et nous aussi !

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